Le vent de l’Atlantique caresse Luanda comme un vieil amant revenu d’exil. Il s’engouffre dans les ruelles du quartier de Ingombota, soulève des poussières d’histoires oubliées et fait vibrer les palmiers le long de la Marginal. Ici, le temps danse entre le passé colonial et la modernité arrogante des gratte-ciel qui tutoient le ciel africain. Luanda n’est pas une ville qui se visite, c’est une ville qui s’apprivoise, une ville qui s’écoute.

Le pouls de la ville : entre effervescence et nostalgie

Dans la lumière dorée du matin, les pêcheurs de l’Ilha do Cabo tirent leurs filets avec la patience de ceux qui connaissent le rythme des marées. Leur langue est un murmure de sel et de souvenirs, héritage des vagues qui les nourrissent autant qu’elles les défient. Derrière eux, les bâtisses d’un autre temps, vestiges portugais aux façades défraîchies, contrastent avec les tours de verre surgissant du sol comme des promesses d’avenir.

Sur l’Avenida 4 de Fevereiro, les klaxons jouent une symphonie de la ville pressée. Les taxis bleus et blancs, indisciplinés comme des oiseaux marins, s’entrelacent dans un ballet d’urgence et d’insouciance. Plus loin, dans les allées du marché de Benfica, les couleurs éclatent : le rouge profond des piments, le jaune brûlant des mangues, le vert luxuriant des feuilles de manioc. L’Angola se raconte en nuances, en parfums d’épices et en éclats de voix marchandes qui marchandent bien plus qu’un prix : un lien, un échange, un sourire complice.

C’est ici que Dona Isabel, une vieille vendeuse de fruits, tient son étal depuis plus de trente ans. « J’ai vu la ville grandir et les enfants devenir grands », dit-elle en tendant une goyave sucrée. « Luanda, c’est une mère dure, mais généreuse. Elle nous donne quand on sait l’attendre. »

La mer, amante et rivale


À Mussulo, le sable se fait doux comme un drap ancien. Là-bas, le tumulte de Luanda s’efface, remplacé par la mélodie discrète des vagues et le rire des enfants jouant sous le regard paisible des filaos. Le temps ralentit. On partage un poisson grillé, accompagné d’un funje moelleux et d’un verre de kissangua, boisson traditionnelle fermentée. Ici, la mer berce et nourrit, mais elle rappelle aussi les départs, ceux d’hier et ceux de demain.

José, un vieux marin aux mains burinées par le sel, regarde l’horizon. « La mer nous a pris nos pères et nos frères, mais elle nous ramène toujours quelque chose. Un poisson, un espoir, une histoire. »

Car Luanda est une ville d’exil et de retour, un carrefour où les âmes partent et reviennent, marquées par l’empreinte d’un passé qui ne s’efface jamais vraiment. Les rues portent encore l’ombre des récits d’exilés et de combattants, de marins et de marchands, de colons et de résistants.

La nuit, un autre battement de cœur


À la tombée du jour, Luanda bascule dans une autre dimension.

Les ruelles s’illuminent, les bars s’animent, et les musiciens sortent leurs guitares. Dans les clubs de la ville, la kizomba enflamme les corps, langoureuse et hypnotique. « Ici, on danse comme on aime : sans retenue, avec passion et fierté », souffle Miguel, professeur de danse, en guidant une touriste sur la piste d’un petit bar caché du quartier Miramar.

Sur les terrasses animées du Skybar ou du Chill Out, les conversations s’envolent, portées par la fraîcheur de la bière locale Cuca et la chaleur des retrouvailles. Les rires résonnent sous le ciel étoilé, défiant les tumultes d’hier et les incertitudes de demain.

Luanda est une ville qui s’accroche à la vie avec la ferveur de ceux qui ont trop connu l’absence.

Les gardiens de la mémoire

Mais derrière la fête, la mémoire veille. Au Musée National de l’Esclavage, les murs chuchotent des histoires que l’on peine encore à affronter. Les pierres de la petite chapelle blanche ont été témoins des premiers pas des captifs avant d’être envoyés de l’autre côté de l’océan.

Manuel, guide du musée, raconte avec gravité : « Luanda a été une porte vers l’inconnu pour des milliers d’âmes. Nous devons nous en souvenir, parce que cette ville est bâtie sur leur histoire, leur force, leur héritage. »

Luanda, un poème en devenir

Luanda n’est pas une ville figée dans le temps, elle est en perpétuelle réinvention. Elle porte les blessures de son passé et les espoirs d’un futur incertain, mais elle danse toujours, comme ces vagues qui ne cessent de revenir embrasser ses rives.

Si vous avez l’âme vagabonde, laissez-vous happer par sa symphonie. Écoutez-la raconter ses histoires à travers ses rues, ses saveurs et ses silences. Car Luanda ne se visite pas : elle se ressent, elle se respire, elle se vit.


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