Le vent souffle sur les pierres usées de Cape Coast Castle, portant avec lui l’écho des âmes oubliées. Ici, le passé ne dort jamais. Il s’accroche aux murs, aux chaînes rouillées, aux cris que l’histoire n’a jamais vraiment effacés.
Mais Cape Coast Castle n’est pas le seul témoin de cette mémoire douloureuse. Quelques kilomètres plus loin, Elmina Castle se dresse, imposant, silencieux, un autre vestige de la traite négrière.
Deux châteaux, deux cicatrices jumelles sur la côte ghanéenne, deux lieux où l’histoire s’est écrite avec des chaînes et des larmes.
Elmina et Cape Coast : deux forteresses, une même horreur
Il est impossible de parler de Cape Coast Castle sans évoquer Elmina Castle. Si Cape Coast est souvent le plus visité, Elmina est le plus ancien et le plus grand des forts esclavagistes d’Afrique de l’Ouest.
Construit en 1482 par les Portugais, Elmina fut le premier comptoir européen en Afrique subsaharienne. Avant d’être un bastion du commerce triangulaire, il servait au commerce de l’or et de l’ivoire. Mais rapidement, ce furent des vies humaines qui furent marchandées entre ses murs.
Cape Coast Castle, construit plus tard par les Britanniques, était plus petit mais tout aussi stratégique. Il était un point central de la traite négrière, géré par les Anglais qui faisaient transiter des milliers d’hommes et de femmes vers les Amériques.
La différence entre les deux ? Elmina Castle est une forteresse massive, un monstre d’architecture coloniale qui dominait la côte, tandis que Cape Coast est plus compact, plus resserré, mais tout aussi glaçant.
L’un était portugais puis hollandais, l’autre était britannique. Mais dans les cachots, peu importaient les langues des colons : les chaînes et la douleur étaient les mêmes.
Entre deux murs, entre deux mondes
Je me souviens de cette journée de 2016 où j’ai visité les deux châteaux. Elmina en premier, puis Cape Coast.
Elmina est immense, et l’on s’y sent englouti. Les murs blancs et épais, les hauts plafonds des salles des colons contrastent cruellement avec les cellules minuscules où les esclaves étaient entassés. L’air y est lourd, chargé d’un silence qui en dit long.
Cape Coast, lui, est plus resserré. Plus sombre, plus intime dans son horreur. Les couloirs sont étroits, les cachots si petits qu’on peine à imaginer que des centaines de personnes y étaient enfermées. Là où Elmina oppresse par sa grandeur, Cape Coast enferme par son étroitesse.
Dans les deux, l’histoire nous agrippe et nous force à regarder.
La porte du non-retour : le dernier pas vers l’oubli
À Elmina, on m’a montré la porte du non-retour, ce passage étroit par lequel les captifs étaient conduits, enchaînés, vers les navires négriers. Derrière, l’Atlantique.
Je l’avais déjà vue en photo, j’en avais entendu parler. Mais en me tenant devant elle, j’ai ressenti ce que les mots ne peuvent pas exprimer.
À Cape Coast, la porte est encore plus marquante.
Le passage est minuscule. Une ouverture basse, étroite, indifférente.
Là, ceux qui étaient vendus enchaînés passaient leur dernier instant sur la terre africaine.
Je suis resté figé devant, incapable d’avancer.
J’ai pensé à ma propre histoire.
Moi, Togolais, né sur la terre de mes ancêtres. Libre d’y vivre, libre de la quitter et d’y revenir.
Et pourtant, dans cette Europe où j’ai fait mes études, à Bordeaux, où les grandes familles négociantes ont construit leur fortune sur cette traite humaine, je me suis souvent senti étranger.
Le racisme ordinaire. Les questions implicites. Les regards qui interrogent sans dire. Cette sensation, vague mais persistante, de devoir justifier sa présence.
Et là, devant cette porte, j’ai compris.
Ce sentiment d’exil, je le portais en moi, comme un écho des âmes qui n’avaient jamais pu revenir.
Un devoir de mémoire : visiter, comprendre, ne pas oublier
Je suis sorti de ces châteaux avec un poids sur la poitrine.
Mais aussi avec une certitude : ces lieux doivent être visités.
Ils ne sont pas seulement des ruines ou des attractions touristiques. Ils sont des mémoires vivantes, des pages d’histoire gravées dans la pierre.
Si vous êtes africain, afro-descendant, ou simplement un être humain soucieux de comprendre d’où nous venons, ce que nous avons traversé, et pourquoi le monde est ce qu’il est aujourd’hui, alors vous devez aller à Elmina et Cape Coast.
Vous devez entrer dans ces cachots, sentir leur oppression, toucher ces murs froids qui ont tout entendu.
Vous devez voir la porte du non-retour, comprendre ce qu’elle signifie.
Et en sortant, vous devez porter cette mémoire avec vous.
Non pas comme un poids, mais comme une responsabilité.
Car l’oubli est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre.
Cape Coast et Elmina nous rappellent que l’histoire ne disparaît pas. Elle est là, sous nos pieds, inscrite dans la pierre, dans la mer, dans le vent.
Et il nous appartient de l’écouter, de la raconter et de la transmettre.
Faites le voyage. Entrez dans ces forteresses du silence. Écoutez. Ressentez. Et souvenez-vous.
Edem Cédric FIADJOE


